Jacques Guyot, Expert en tendances Retail

Quelles sont les grandes tendances du retail d’aujourd’hui ?

Selon moi, ce sont les tendances du retour à la nature, déjà à l’oeuvre pré-Covid, qui ont fortement augmenté leur présence.

Cela se manifeste déjà en vitrine, avec la présence d’éléments naturels et végétaux, à l’intérieur des boutiques ou bien simplement en jouant avec des couleurs qui évoquent la nature, des décors fleuris ou champêtres.

On utilise également de plus en plus de lumière naturelle, même dans des magasins historiquement basés sur un espace fermé et une expérience immersive comme Harrod’s qui a toujours « verrouillé” ses rayons et ses départements, dans le but volontaire de perdre ses clients, afin qu’ils visitent le magasin et ses recoins dans son entièreté.

Cette tendance naturelle, lancée déjà il y a quelques années, est pour moi destinée à s’inscrire dans la durée.

L’autre grande direction du retail est évidemment l’accélération du digital, et la réduction des frontières entre le digital et le physique (le phygital). Au Royaume-Uni, Matches fashion et FarFetch, deux grandes enseignes de la mode, ont ouvert des boutiques physiques, dont le contenu est basé sur les meilleures ventes en ligne, avec un stock évoluant au fur à mesure des semaines . Ce sont donc les performances de leurs sites marchands qui dictent les collaborations, les assortiments, les thèmes, les produits disponibles dans leur magasin !

Alors qu’il pouvait parfois être relégué au second plan au sein d’un espace de vente, le digital fait maintenant partie intégrante de l’expérience en magasin.

On assiste à la création d’un nouvel espace méta, ni entièrement physique ni entièrement digital.
Une autre conséquence marquante du premier confinement, c’est la demande de maîtrise de son propre temps exprimée par les consommateurs. Ces derniers expriment de multiples façons leur volonté de rattraper le temps perdu, en demandant des expériences en ligne et en magasin avec le moins de friction possible, et une efficacité plus grande de la part de leurs enseignes.

Pour répondre à cette demande, la marque FarFetch propose désormais la possibilité de commander ses articles en ligne, dans plusieurs tailles, puis se faire livrer en boutique 90 minutes plus tard et essayer sa commande. Il n’y a pas d’argent à avancer, et les clients règlent ensuite leur panier en boutique, sur la base des articles choisis au final.

On passe donc de la boutique en ligne, à l’essayage en magasin en fusionnant les deux expériences. Le digital amène sa propre cabine d’essayage physique, sans devoir attendre ou payer son panier d’achat, comme c’est le cas traditionnellement.

Dans cette même mouvance, la marque d’habits de sport et de yoga Lululemon a décidé d’ouvrir au moment de Noël de nombreux pop-up stores dans la ville de New York. Ces magasins étaient uniquement destinés au click and collect, avec comme but l’augmentation de la facilité et de la rapidité à récupérer ses commandes, dans un moment où la plupart des magasins traditionnels sont pris d’assaut et sujets à une attente en boutique importante.

Quelles habitudes ont été profondément impactées par le Covid ?

La première que j’ai pu observer concerne la perception du rôle des vendeurs en boutique. Jusqu’à très récemment, les équipes présentes au siège avaient pour habitude de reléguer à un poste de second plan les vendeurs et vendeuses en boutique, et leur travail sur le terrain.

L’objectif était de maximiser leur rentabilité au maximum, avec des équipes vendeurs formées rapidement. Depuis mars 2020, nous avons pu observer une migration des ventes physiques vers le virtuel: les ventes digitales ont créé de nouvelles missions (manipulation des outils technologiques, présentation des produits à distance, capacité à se mettre en scène dans le virtuel…) et nécessité l’acquisition de nouvelles compétences de la part des vendeurs.

L’importance de la formation et des compétences des équipes terrain a été reconsidérée, notamment en transformant les équipes terrain en personnels multi-tâches, capables de se servir d’outils informatiques poussés et vendre en boutique réelle comme dans le virtuel.

Ces nouveaux vendeurs sont désormais capables de développer des études de marché, d’utiliser des nouveaux outils de vente à distance (Zoom, Wechat…). C’est une progression essentielle, car dans le domaine du luxe, notamment pour les clients asiatiques, des ventes de plus en plus nombreuses sont réalisées par l’application Wechat, ce qui demande une formation et un talent spécifique de la part du vendeur.

Cette professionnalisation de la main d’œuvre a d’ailleurs permis de continuer à vendre et à satisfaire sa clientèle, alors même que les magasins étaient fermés !

De nouveaux ambassadeurs se sont aussi développés comme les influenceurs, et des marques comme Kiko (cosmétiques) en ont beaucoup joué pour développer leurs ventes pendant cette période. Grâce aux tutoriels en ligne, ils ont pu présenter les produits à une plus large audience et continuer à avoir une activité commerciale lors de moments difficiles.

As-tu perçu une transformation de la relation enseigne-clients suite à l’épisode Covid ?

Selon moi, il y a eu tout d’abord un premier mouvement, initié auprès des salariés, pour les soutenir durant cette crise sanitaire, ou simplement rendre leur cadre de travail plus agréable.

Cette mouvance vient essentiellement des Etats-Unis, avec comme exemple l’entreprise Lululemon (vêtements techniques de sport et de yoga) qui a pris la décision de financer un abonnement Gym à tous ses salariés. L’objectif était double : valoriser l’image de leur marque en présentant des salariés sportifs et bien dans leur peau, tout en permettant à ces derniers d’être en forme, donc moins malades !

Grâce à cette mesure, cette société a pu réduire le nombre de jours de congés maladie d’un tiers ! Le sentiment d’appartenance des salariés à leur société augmente, ils sont plus heureux, moins malades, et travaillent simplement mieux. Tout le monde en bénéficie, du siège aux clients finaux !

De manière plus commerciale, le Covid a amené une vague de “marketing du don” (abonnements offerts au client, augmentation des privilèges des cartes de membres, envois massifs d’échantillons, mise en ligne de concerts de soutien …). Certaines campagnes marketing étaient relativement désintéressées, dans les domaines les plus touchés (restauration, livraison…, en augmentant le salaire des livreurs par exemple), quand d’autres ont conservé avant tout une logique plus commerciale.

Selon vous, quelles sont les nouvelles directions marketing des enseignes ?

L’émergence de nouvelles stratégies de communication sur le concept du développement durable. C’est une tendance intéressante, car elle provient à la fois d’une réelle demande de la part des consommateurs, à laquelle les marques doivent se plier, et (parfois) d’une vraie démarche généreuse et altruiste des marques.

Après tout, en prenant soin de la planète, on prend soin de sa population donc de ses clients !

Le sentiment de danger apporté par le covid a grandement poussé cette tendance, en permettant à chacun de réfléchir sur le besoin réel de consommation par rapport à ses besoins, de l’utilisation de ses habits, etc …

Dans ce domaine, on peut penser à Adidas et sa campagne “End Plastic Waste”, ou dans un domaine beaucoup plus inattendu, la marque de haute couture Chanel qui a décidé de produire sa dernière collection de Haute Couture à l’aide de tweed recyclé.

Le secteur de la joaillerie est aussi concerné par l’évolution de cette tendance : les diamants de synthèse sont en plein boom, et de plus en plus de grandes maisons passent le pas, en présentant des collections basées sur ces nouveautés. Le joaillier Courbet, présent place Vendôme à Paris en est d’ailleurs un des fers de lance . Ce qui était impensable il y a quelques années dans ce secteur, est en train de devenir un nouvel argument marketing !

Les questions de conditions de travail et de ressources de la terre sont désormais examinées dans tous les secteurs, y compris celui du luxe pour questionner la provenance et le coût réel des produits traditionnels de ce secteur .

Avez-vous des exemples d’adaptations marketing ayant été réalisées pendant le confinement, pour survivre, voir surnager pendant la crise sanitaire ?

Tout d’abord, nous pouvons citer le concept de renaissance dans le virtuel : le rendez-vous en ligne. Ainsi, l’entreprise Suit Supply a proposé une expérience 100% digitale grâce à la possibilité d’essayer virtuellement son costume tout en pouvant réserver en ligne un rendez-vous avec un vendeur.

L’émergence du “Do It Yourself » a également été très marquée, et de nombreuses marques, parfois à contre-courant de cette tendance, ont malgré tout surfé sur cette mode pour se renouveler et modifier leur image.

Ikea a ainsi décidé durant toute la journée du Black Friday de proposer des tutoriels enseignant à leurs visiteurs comment détourner l’utilisation habituelle de leur mobilier vers d’autres usages.

La digitalisation des moyens de communication, ainsi que le recours aux réseaux sociaux a aussi favorisé le développement d’un certain nombre de marques en déclin : l’entreprise américaine Madison Reed spécialisée dans la teinte de cheveux, a réussi grâce à des conférences et des test collaboratifs en ligne (Zoom, Youtube, Facebook) à élargir sa clientèle.

Même si certains secteurs n’ont pu éviter la crise, l’épisode Covid a parfois propulsé la digitalisation des enseignes et révolutionné l’ expérience client auprès des secteurs traditionnellement portés sur le présentiel.

Au-delà du Covid et de ses conséquences, quelle est selon vous la prochaine tendance globale du retail ?

L’intégration poussée du retail dans la vie de tous les jours ! On peut déjà l’apercevoir à travers quelques enseignes qui offrent une expérience client complète, ou se mêlent les secteurs de l’Art, de la culture, de la nourriture, de la nature…

Selon moi, les boutiques vont devenir des mini centres commerciaux, où l’on trouvera de tout, afin d’offrir une expérience unique complète, et donc prolongée aux clients.

On peut déjà citer l’exemple de la marque Dior, qui va ouvrir de nouveau son flagship historique Avenue Montaigne : dans cet espace cohabiteront un café, un restaurant, des expositions internes et une suite hôtelière. C’est la promesse d’un lieu de vie disponible 24/24, sous les couleurs et les produits d’une seule enseigne.

Le grand magasin La Samaritaine à Paris, suit également cette vocation, en souhaitant la construction d’un lieu composé de jardins, restaurants, boutiques, hôtels, espaces culturels et même d’une banque.

Enfin, Gucci propose déjà au sein de son point de vente un restaurant géré par un Chef étoilé, ainsi qu’un musée avec des exposition temporaires.

On peut aussi imaginer la création d’activités complémentaires à une expérience d’achat maximale comme des prestations de garderie, ou de co-working.

Quel est votre avis sur les évolutions récentes de l’affichage dynamique ?

L’affichage dynamique possède désormais un rôle beaucoup plus important et infiniment plus complet : Il ne s’agit plus seulement de passer des vidéos de produits ou des films institutionnels; il s’agit d’accentuer l’immersion dans l’univers de la marque, sa décoration, son esprit.

La tendance gaming est également une nouveauté en forte croissance. Jouer à des jeux vidéos dans le magasin est un retour à l’idée de base du shopping : une activité fun, immersive et source de bien-être.

C’est aussi un moyen ingénieux de capturer l’attention des passants et d’augmenter le traffic en magasin, grâce à de grands écrans lumineux et colorés, soutenus par les mouvements des visiteurs-joueurs.

Enfin, le marketing olfactif est pour moi la prochaine tendance majeure du retail. Si nous n’en sommes qu’à ses balbutiements (surtout en France) c’est la touche finale qui permet d’affirmer l’identité d’une marque, et de s’adresser au consommateur.